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VAGUE A LA VIE
18 novembre 2017

MANOUCHES ET CANARDS COLVERT

    Il y a quelques semaines, lors d'une promenade, Lo et moi nous nous demandions où se trouvaient ces terrains habités par des manouches, dit nombreux dans la région. Nous sommes passées près d'une bourgade quand Lo s'exclame: " regarde maman, tu parles des manouches, les voilà " ! Le hic, c'est qu'on est sur nos gardes, car la plupart d'entre eux sont adeptes de la Mission évangélique des Tziganes de France, et que nous, nous sommes issues d'une famille qui ne se reconnaît pas dans ces fidèles dont les conversations axées sur Dieu sont d'une lourdeur...  Nous savons que la première chose qu'ils vont nous demander, c'est si nous sommes baptisées (évangéliques).

    De chaque côté de la route, se trouvent de petites cabanes. Je ralentis légèrement, une femme nous sourit, je la salue. Quand, je lui demande si elle est manouche ou gitane, elle semble vouloir me convaincre que peu importe, ils sont les deux ( ?). Sur ces mots, son mari nous invite à nous garer sur leur parcelle de terrainPremier étonnement (pas tant que ça, car j'ai fait cette découverte en 2015) ils nous parlent en français, mais dans un vocabulaire abîmé, comme certains jeunes. ( Lo, plus philosophe, dit que le français est une langue vivante donc qui bouge... ) D'autres habitants, arrivent. Je leur demande pourquoi ils ne parlent pas en Romanès :

- Ah, c'est nos parents, ils nous ont pas appris ( ?)
- Personne ne nous a "appris " nous, nous sommes sédentaires et nous parlons la Romanès, vous vous vivez comme des Nomades, mais vous ne le parlez pas. C'est étrange et malheureux
- Oui, mais on connaît pas nous ( grande gêne).

   Les choses se sont enchaînées à un rythme effréné. Ils nous invitent à venir le mercredi suivant assister à une cérémonie dans leur église : " les gadjé, ils nous connaissons là-bas " !

   La première femme, soudainement habité par l'Esprit-Saint, s'approche dangereusement de moi argument : " Dieu, tu vois, il a choisi mon mari comme serviteur, pour le servir ". Et lui heureux comme un pape, rajoute : " tu crois en Dieu ? Parce que si tu crois pas en Dieu, il te reste qui ? Le diable et le diable, c'est l'enfer ! ".  Il demande à sa femme de chercher la bible, elle ne se fait pas prier et nous présente un gros pavé. Je ne sais pas quoi en faire et tourne les pages en assurant que c'est une belle bible. Je donne de petits coups discrets à Lo qui approuve mes commentaires par des soupirs d'émerveillements d'une fausseté théâtral.
   Une autre femme vient accompagnée d'une dizaine d'enfants, elle passe sa tête dans l'habitacle de ma voiture et me somme de venir à l'église, car Dieu, c'est la vie ! Je change de conversation et leur demande leur nom : Duvil ! Ce sont bien des manouches ! Le mari me demande le nôtre. Honoré, il nous propose de le suivre, car non loin, se trouve un ancien qui se trouve être leur  "Pasteur " portant le nom Reinhardt et qui sait parler le Romanès. Nous refusons, car nous avons prévu de dîner au restaurant et qu'il se fait tard.  Il insiste, et  l'idée de parler avec un ancien nous paraît sympathique. Deux minutes plus tard, nous sommes sur un terrain de fortune sans accès à l'eau ni à l'électricité. Les caravanes portent les traces de l'immobilité.

   Un homme vient à notre rencontre, celui qui nous accompagne nous présente, et d'autres venant de partout, se placent en demi-cercle autour de nous. Les femmes se font discrètes, et nous sommes inspectées de haut en bas. Cet homme, nous est présenté comme étant cet ancien Pasteur, Reinhardt en question...
Visuellement, il n'est pas jeune, mais n'a pas 70 ans, et non, il ne parle pas non-plus le Romanès et s'en trouve désolé. Oh, ils disent tous quelques mots courants, et nous rions intérieurement d'entendre leurs commentaires à notre égard. Le "Pasteur" nous dit être un Reinhardt sans T. Il s'excuse de n'avoir rien à nous donner à boire, mais nous propose un café. Aussitôt, sans que l'on puisse donner notre réponse, il demande qu'un café soit fait. Une femme plus âgée se porte volontaire, et comme cela ne se fait pas de refuser l'hospitalité chez nous, nous acceptons en précisant que nous sommes pressées.
   Il nous propose de nous asseoir.  Honnêtement, nous sommes très mal à l'aise de la distance des femmes. En Alsace, elles sont très présentes et conviviales sur les camps.  Nous sommes là, les seules à être assises, avec ces hommes très gentils, mais qui paradent tels des paons. Nous ne savons plus comment nous tenir.  IIs se parlent très prêt des oreilles et ne sont pas très discrets. Me concernant, ils semblent mitigés, célibataire ou veuve ? Mais je suis à l'abris, ceux de ma géneration sont rarement célibataires. Et comme il aurait été déplacé de me demander ma situation familiale, ils délèguent  à vieil homme qui indélicatement, trouvera une ruse pour avoir une réponse plus tard.

   Lo chamboule les jeunes et les moins jeunes, des couteaux  imaginaires sortent de mes yeux  ! Quelques femmes très jolies, blondes et brunes, montrent le bout de leur nez par intervalles. Les couteaux des yeux des plus jeunes se dirigent vers Lo. Les plus mûres taquinent leurs hommes devant le spectacle.  

   Le café n'est pas prêt de l'être, un petit brûleur à gaz à l'extérieur fait bouillir l'eau et ça dure, et ça dure... Un vieil homme arrive sur les lieux. Il fait des efforts respectables pour formuler quelques phrases en Romanès. Avec humour, il nous dit que cette génération ne savait plus grand- chose ni de la langue, ni des coutumes.
Il regarde autour de lui et demande à celui qui nous a mené sur le terrain, si une bible nous a bien été présentée. Et durant ce temps, nous sommes ensevelies sous les prospectus d'extraits de l'évangile philippin, avec invitation répétés à la messe du mercredi soir. Nos numéros nous sont demandés dans le cas, où nous oublierions la date. Nous baissons les bras et nous ne les contredisons pas, le climat, non-météorologique, ne le permet pas, ce serait du temps perdu, et ils semblent tous heureux.

   Le " Pasteur " fier comme Artaban, nous informe qu'à 39 ans pour lui, et 35 ans pour sa femme, ils sont déjà deux fois grands parents...

   Alléluia ! Le café est arrivé après une vingtaine de minutes. Nous oublions qu'il est bouillant et le buvons presque cul-sec. Nous annonçons notre départ et nous les remercions* pour leur accueil. Après encore quelques murmures entre eux, le vieil homme nous rappelle de ne pas oublier la messe, qu'ils y font le baptême et que mon mari était le bienvenu...

   Tout à l'heure, je suis allée faire un peu de sport et de retour, je me suis arrêtée au bord de la Vienne pour reprendre mon souffle. Un canard m'a vu arriver, et comme ils ont l'habitude de se voir ravitaillés en pain dur par les promeneurs, il a donné l'alerte aux autres. Et en quelques secondes, ils sont arrivés en groupe en cancanant autour de moi...


*Petit rappel, le remerciement sous forme de mot, n'existe pas en Romanès, mais comme ils nous parlaient en français nous avons eu ce reflexe naturel, presque triste dans ces circonstances.

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Commentaires
F
Oui, je pense qu'à partit du moment ou une confession dirige les gens c'est sectaire.
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G
Oups... on dirait presque une secte... Et quel dommage d'abandonner une langue.
Répondre
VAGUE A LA VIE
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